Quand l’entreprise vacille : que devient votre salaire ?

Imaginez : un lundi matin, vous arrivez au travail, café à la main, et l’ambiance est… pour le moins étrange. Des murmures, des regards fuyants, et cette rumeur qui traîne dans les couloirs comme une menace sourde : « La boîte est en redressement judiciaire. » Aussitôt, une question essentielle fuse dans tous les esprits : et mon salaire dans tout ça ? Car, au-delà des chiffres et des procédures, il y a une réalité concrète : vous travaillez pour vivre. Et justement, votre employeur peut-il encore vous payer ?

Pas de panique. Le droit, parfois vu comme un labyrinthe de jargon et de latin poussiéreux, a ici prévu des mécanismes bien huilés. Dans cet article, je vous guide à travers les méandres du redressement judiciaire et vous explique ce qu’il advient de vos droits salariaux.

Redressement judiciaire : petit rappel utile

Le redressement judiciaire, c’est un peu la tentative de dernière chance d’une entreprise en difficulté. Lorsqu’elle n’est plus en mesure de faire face à ses dettes avec son actif disponible (on parle alors de cessation des paiements), mais qu’elle conserve une possibilité de redressement, le tribunal de commerce peut décider de l’ouverture d’une procédure de redressement.

À cet instant, le dirigeant n’est pas (encore) dépossédé de son pouvoir de gestion, contrairement à la liquidation judiciaire. Un administrateur judiciaire peut être désigné pour l’accompagner — parfois pour surveiller seulement, parfois pour co-gérer plus activement. Quel que soit le degré d’intervention, l’entreprise continue de fonctionner. Et donc… de faire travailler ses salariés.

Mais dans un contexte aussi instable, que devient la paie ?

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Le paiement des salaires : une priorité absolue

L’un des principes phares du droit des entreprises en difficulté est clair : les salaires sont une dette superprivilégiée. En d’autres termes, vos créances salariales passent avant bien des créanciers, y compris le banquier. Une petite revanche du quotidien sur les ratios financiers ? Peut-être. Mais surtout, une vraie protection légale pour les salariés.

Concrètement, à partir de l’ouverture du redressement judiciaire, deux situations peuvent se présenter :

  • Les salaires dus avant l’ouverture : si votre employeur avait du retard de paiement, ou s’il vous devait des primes, indemnités, etc., le paiement est assuré par un organisme appelé l’AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés).
  • Les salaires dus après l’ouverture : tant que l’entreprise continue son activité, elle est censée payer normalement les salaires. Toutefois, si elle se retrouve rapidement en difficulté, là encore, l’AGS peut intervenir, mais dans des conditions spécifiques.

L’AGS : le bouclier méconnu des salariés

L’AGS, c’est un peu la « mutuelle de crise » des salariés. Financée par une cotisation patronale, elle a pour mission principale de garantir le paiement des créances salariales en cas de redressement ou de liquidation judiciaire.

Mais ce n’est pas open bar : l’AGS ne paie que sur appel du mandataire judiciaire et dans des plafonds bien définis. Elle intervient notamment pour :

  • les salaires impayés antérieurs à l’ouverture de la procédure ;
  • les indemnités de rupture de contrat (en cas de licenciement économique notamment) ;
  • les préavis et congés payés non pris ou non réglés ;
  • les salaires dus après l’ouverture si l’entreprise n’est pas en mesure de payer.
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Le tout, dans des limites fixées par la loi et en fonction de l’ancienneté du contrat de travail. Ainsi, au 1er janvier 2024, l’AGS garantit les salaires dans la limite de 6 fois le plafond mensuel de la sécurité sociale, soit un peu plus de 27 000 euros.

Et si ma paie n’arrive toujours pas ?

Malgré tous ces beaux mécanismes, il peut arriver que les choses traînent ou se compliquent. Une mauvaise communication entre le mandataire et l’AGS, un dossier incomplet, ou simplement une gestion bancale de l’entreprise… Et patatras, les salaires ne tombent toujours pas.

Dans ce cas, plusieurs réflexes :

  • S’adresser au représentant des salariés : élu lors de l’ouverture de la procédure, ce dernier est votre premier interlocuteur. Il peut alerter le mandataire judiciaire.
  • Contacter directement le mandataire : c’est lui qui a la main sur la déclaration des créances.
  • Saisir le conseil de prud’hommes, en cas de retard prolongé ou d’impasse, pour forcer la reconnaissance et le paiement des sommes dues.

Mais le plus souvent, restons honnêtes, une fois que le processus est lancé, l’AGS joue son rôle efficacement. Il faut juste parfois un peu de patience – et une bonne dose de persévérance.

Que devient votre contrat de travail ?

Autre sujet essentiel : non seulement vous voulez être payé, mais vous voulez aussi savoir si votre emploi est menacé. Là encore, cela dépend de l’évolution de la procédure.

Le redressement judiciaire peut déboucher sur trois scénarios :

  • Une poursuite de l’activité, avec maintien des emplois, au moins temporairement ;
  • Une cession partielle ou totale de l’entreprise à un repreneur, avec transfert des contrats de travail (vous changez d’employeur… mais gardez votre poste) ;
  • Une conversion en liquidation judiciaire. Dans ce cas, licenciements pour motif économique à la clé, avec là encore une intervention de l’AGS pour indemniser les salariés.
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Autrement dit, votre contrat reste valide jusqu’à ce qu’une décision judiciaire ou une restructuration l’affecte. Vous ne pouvez pas partir du jour au lendemain sous prétexte que « l’entreprise est en redressement ». Et inversement, votre employeur ne peut pas vous licencier sans respecter la procédure spécifique qui encadre les licenciements économiques dans ce contexte.

Et la suite ? Vigilance et action

Le redressement judiciaire est souvent vu comme une tempête : tout est instable, l’avenir est incertain, les repères volent en éclat. Mais pour le salarié informé, c’est aussi un moment où il faut être vigilant, mais pas passif. Comprendre ses droits, savoir à qui s’adresser, suivre de près ce que deviennent les salaires ou les indemnités. L’information, ici, est plus que jamais votre meilleure alliée.

Un dernier conseil juridique pour la route : surveillez les délais. Vous n’avez que deux mois à partir de l’ouverture de la procédure pour déclarer certaines créances au passif. Même si le mandataire peut s’en charger, une vérification ne fait jamais de mal. Et si un licenciement intervient, rapprochez-vous très vite de votre représentant du personnel ou d’un conseil pour vous faire accompagner.

Vous l’aurez compris, un redressement judiciaire, ce n’est ni la fin du monde… ni une promenade de santé. Mais bien préparé, salarié averti, vous garderez la tête hors de l’eau — et la paie sur votre compte.

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